La réglementation municipale: Catalyseur ou obstacle aux constructions écoénergétiques - Partie 1: Objectifs et stratégie
- Kim Cloutier
- 21 mai 2024
- 6 min de lecture
En 2024, la crise climatique atteint un seuil critique. Elle a des impacts dévastateurs sur les écosystèmes et sur les communautés à travers le monde, rendant la réduction immédiate des émissions de carbone plus urgente que jamais. Saviez-vous que les bâtiments sont responsables d’environ 30% des émissions totales de gaz à effet de serre sur la planète?
Une partie de ces émissions proviennent de la construction même des bâtiments, par la production et le transport des matériaux et les techniques constructives, mais la plus grande partie des émissions provient de leur exploitation et donc de l’énergie consommée par les bâtiments pour fonctionner sur une base quotidienne. Cela est dû au fait qu’une grande majorité des bâtiments consomment toujours des énergies fossiles pour alimenter leurs systèmes d’exploitation.
Que pouvons-nous faire pour renverser la tendance?
C’est en fait plutôt simple. En limitant les besoins en énergie des bâtiments, leurs émissions de carbone s’en verront directement affectées. Il faut donc exiger dès aujourd’hui de meilleurs standards de performance énergétique pour nos bâtiments.
C’est exactement ce que fait la norme allemande Passivhaus. Avec leur standard de consommation énergétique annuelle presque nulle, les bâtiments passifs offrent une solution prometteuse pour les constructions de demain. (Lire cet article pour en savoir plus sur la norme Passivhaus)
Bien que le concept de bâtiment passif ne date pas d’hier, il n’est connu que de quelques adeptes à Montréal. Pourtant, dans de nombreuses villes à travers le monde, dont certaines au Canada et plusieurs en Europe, ces normes sont intégrées à la réglementation municipale depuis plus de 10 ans!

Dans cette série de 3 articles, j’explorerai les succès de ces villes modèles pour ensuite examiner les politiques actuelles de Montréal. Je vous proposerai également des stratégies concrètes pour accélérer l'adoption des bâtiments passifs à Montréal en mobilisant les acteurs clés du domaine. Mais commençons par le début: parlons des objectifs visés et de la stratégie identifiée pour nous mener à changer notre façon d'aborder les projets.
Première étape: Établir des objectifs ambitieux
À la réalisation de l’importance de la problématique de la crise climatique, la première étape est d’établir des objectifs ambitieux afin de réduire la quantité de gaz à effet de serre produit par les bâtiments pour ensuite mettre en place des mesures concrètes nous permettant d’atteindre ces objectifs.
C’est exactement ce qu’a fait la ville de Vancouver. Depuis plus de 15 ans, la ville établit des plans d’action visant des objectifs concrets pour les prochaines décennies.
Par exemple, la stratégie de ville renouvelable (Renewable City Strategy 2015-2050) a pour objectif que la ville carbure à 100% avec des énergies renouvelables d’ici 2050. Le plan d’action pour des bâtiments à zéro émission (Zero emissions building Plan) vise quant à lui une carboneutralité des nouvelles constructions d’ici 2030. Pour atteindre ces objectifs, la ville a dû établir de grandes stratégies afin de faire changer les tendances.
Deuxième étape: Établir une stratégie
Comme énoncé d’entrée de jeu, une fois les objectifs établis, il faut réfléchir aux meilleures mesures à mettre en place pour les réaliser. À Vancouver, le comité des bâtiments verts (Vancouver’s Green Buildings Team), guidé par Sean Pander, s’est penché sur la meilleure manière de transformer la construction afin de rendre les objectifs de réduction atteignables. La question suivante s’est posée:
Quel est le plus grand problème que nous essayons de résoudre dans le secteur de la construction?
Au cours des cinq dernières décennies, avec le développement rapide des technologies et systèmes du bâtiment, l’approche prédominante a consisté à construire des bâtiments de faible qualité et à les doter de ces technologies afin d’atteindre le niveau de confort souhaité. Cette manière de construire amène une grande dépendance à l’énergie et, ce qui a été constaté au fil du temps, c'est que la complexité technologique de la gestion de ces systèmes et les priorités des occupants ou des propriétaires ne correspondent pas. Il faut donc transformer notre façon de penser et nous éloigner d'une dépendance totale à l'égard de la technologie.
C’est cette réflexion qui a mené à l’étude des standards des bâtiments passifs: diminuer notre dépendance envers les technologies au profit d’une meilleure conception et d’une meilleure construction et du fait même, diminuer nos besoins en énergie.
La norme Passivhaus: un standard bien établi à l’international
Bien que peu connue au Québec et encore moins à l’extérieur des cercles professionnels, la norme Passivhaus, adoptée pour le moment principalement en Europe, commence à gagner du terrain dans d'autres régions du monde en tant que solution viable pour lutter contre le changement climatique. C’est un standard de construction rigoureux conçu pour réduire drastiquement la consommation énergétique des bâtiments tout en assurant un confort maximal pour ses occupants. Ce système repose sur une isolation extrêmement performante, une étanchéité à l'air optimale, l'utilisation de fenêtres à triple vitrage et une ventilation mécanique avec récupération de chaleur. L'objectif est de créer des bâtiments qui requièrent très peu d'énergie pour le chauffage ou la climatisation, ce qui réduit significativement les émissions de gaz à effet de serre.
On estime qu’il y aurait environ 120 000 bâtiments à travers le monde construits selon les standards bâtiment passif (Passive House Accelerator), dont environ 2 000 au Canada (Passive House Canada).
Ce que l’industrie en pense
Évidemment, c’est un concept que les architectes adorent parce qu'ils doivent utiliser les principes du site, du soleil, de la circulation de l'air et des bonnes techniques de conception. Ils sont enthousiastes à l'idée de relever le défi de la conception et de redonner à l'architecture sa grande valeur.
Les constructeurs sont généralement également enthousiastes. Les bons ouvriers sont fiers de ce qu'ils font et dès que vous pouvez les impliquer en leur présentant des méthodes de construction améliorées, comme des techniques de jonction plus efficaces ou des stratégies d'isolation optimisées, leur engagement devient palpable. Plutôt que de parler de normes d'émissions de gaz à effet de serre ou de marges de profit, ils peuvent reconnaître la supériorité de ces méthodes par leur contribution à un bâtiment de qualité supérieure, au-delà des exigences et des standards.
Pour les clients et promoteurs, l’enjeu est souvent monétaire. Il est vrai qu’une construction écoénergétique est généralement plus chère à construire qu’une construction standard; il est donc important de comprendre les avantages à long terme de ce type de construction.
Dans le cadre de consultations citoyennes en Écosse visant à discuter de diverses stratégies, la volonté d’améliorer la performance énergétique des bâtiments s’est présentée naturellement. Elle a du sens pour tous puisqu’elle s’appuie sur des principes de physique du bâtiment.
De plus, il a été évalué par le UK Passivhaus Trust que l’introduction d’une politique demandant la construction de bâtiments écoénergétiques de standard Passivhaus pourrait faire économiser de l’ordre de 20 billions de livres en infrastructures énergétiques au cours des deux prochaines décennies. C’est sans mentionner les économies en soins de santé. Offrant une qualité d’air améliorée, des environnements intérieurs plus silencieux, des vues et une luminosité naturelle accrue, les projets passifs offrent aux utilisateurs une meilleure qualité de vie, ce qui entraîne une diminution de l’absentéisme et en une population active plus productive.
C’est donc de se poser la question: quel est le coût de ne pas prendre le virage de la construction écoénergétique?
La prochaine étape?
Ayant établi l'importance cruciale de réduire l'empreinte carbone des constructions, il est temps de passer de la théorie à la pratique. La norme Passivhaus représente une voie vers des bâtiments écoénergétiques, mais son adoption reste un défi. Découvrez dans mon prochain article comment des villes autour du monde ont réussi à surmonter ces obstacles à travers des stratégies incitatives efficaces et des politiques bien pensées.
Sources:
Ordre des architectes du Québec (2023). Milieux de vie durables et résilients, vidéo de formation aux membres.
Sarah Lewis and Sean Pander (2024). Policies That Supercharge Progress, Conference at the Reimagine Buildings'24 by Passive House Accelerator.
International Passive House Association. Passive House Legislation & Funding, https://passivehouse-international.org/index.php?page_id=501
À propos de l'auteure:

Kim Cloutier est une architecte expérimentée avec une carrière marquée par des projets axés sur la simplicité et la durabilité. Elle est certifiée conceptrice de maisons passives et associée écologique LEED, ce qui témoigne de son engagement pour les normes élevées en matière de performance énergétique et de durabilité environnementale. Kim aspire à promouvoir un cadre de vie plus sain à travers ses projets, en mettant l'accent sur la création d'environnements sains et durables.